dimanche 12 décembre 2010

Tom, le Prince rebelle

Tranche d'âge : à partir de 5 ans
Durée : 7 mn


- Qu’est-ce qui t’amuse tant ? demande l’enfant au vieil homme qui prend le soleil sur un banc du jardin.
- Mais voyons, dit la mère du garçon, tu es bien indiscret, on ne pose pas de telles questions.
- Laissez, Madame, je vous en prie, je veux bien lui répondre et même lui raconter toute l’histoire. Tu vois, petit, continue le vieil homme en se tournant vers l’enfant, je viens de recevoir une carte postale qui me fait bien rire. Je vais t’expliquer pourquoi. Lorsque j’étais plus jeune, j’étais au service du roi de mon pays.
- Est-ce qu’il portait sa couronne, même pour manger et même pour dormir ? interroge l’enfant.
- Non, il ne porte sa couronne que dans les cérémonies. Sinon il vit à peu près comme tout le monde. Son épouse, la Princesse Clélia, ne la porte pas non plus tous les jours.
- Mais est-ce qu’elle a toujours de belles robes de princesse ? demande le petit curieux.
- Non, c’est une princesse moderne, elle aime s’habiller simplement et je pense même qu’elle aimerait vivre comme une femme ordinaire si son rang le lui permettait. Tu sais, dit le vieil homme, si tu m’interromps sans arrêt, je n’arriverai jamais au bout de mon histoire et tu ne sauras pas pourquoi je riais. Alors viens plutôt t’asseoir avec ta maman près de moi et maintenant écoute.
Et voici le récit du vieil homme :
« Cela peut paraître étrange aujourd’hui mais il y a encore de nombreux royaumes dans le monde. Certes, les rois et les reines n’ont pas beaucoup de pouvoir, mais enfin, ils représentent leur pays et personne ne conteste leur titre. Moi j’ai toujours habité au château puisque mon père travaillait déjà dans la famille royale lorsque je suis né. Je l’ai remplacé en tant que serviteur du Roi à la naissance de leur premier enfant, le petit Tom qui m’a tout de suite conquis avec sa figure joviale et son regard franc. Et je crois bien, ajoute le vieux monsieur en baissant légèrement la voix, que j’étais le préféré du petit prince, parmi tous les domestiques du royaume. Comme je m’occupais souvent de lui, j’ai très vite appris à le connaître. Je me suis aperçu assez tôt qu’il n’était pas à l’aise dans le rôle de Prince que sa condition lui imposait. Dès quatre ans, il dut paraître aux côtés de ses parents lorsque ceux-ci recevaient au château. Il était bien habillé pour l’occasion et portait le blason de la famille royale sur son veston. Il détestait cette tenue ainsi que le rôle qu’il devait jouer. Quand les ambassadeurs, les hommes et les femmes politiques le saluaient en lui disant :
- Tous mes respects, cher Prince.
Il ne manquait jamais de répondre :
- Je m’appelle Ti-Tom.
Il m’honorait beaucoup car c’est ainsi que je l’appelais. Puis, dès que la cérémonie était terminée, il courait vers sa chambre pour remettre son jean et ses baskets.
Heureusement pour lui, ses parents avaient choisi de l’envoyer à l’école plutôt que de lui donner un professeur particulier. C’était bien sûr une école principalement fréquentée par des enfants de bonne famille mais, comme par hasard, Tom choisissait toujours ses copains parmi les plus modestes et les moins riches. Oui, il préférait toujours la simplicité.
Je me souviens qu’un jour, il avait fait une crise terrible à ses parents car il ne voulait plus aller à l’école dans la voiture royale conduite par un des chauffeurs de la famille. Le Roi et la Princesse avaient fini par accepter qu’il prenne le bus mais à la seule condition que le chauffeur suive le bus, au cas où il se passerait quelque chose. Quelle histoire !
Les choses ne se sont pas améliorées par la suite pour notre petit Prince, bien au contraire. Lorsqu’il est devenu adolescent, il ne supportait plus du tout la vie qu’il devait mener à cause de son titre. Bien souvent, il lui arrivait de provoquer ses parents en leur disant qu’il voulait devenir bûcheron. Au début, cela faisait sourire le Roi et la Princesse mais ensuite celle-ci se fâchait en rétorquant :
- Voyons, tu sais bien que tu es destiné à devenir roi, à la suite de ton père !
Alors il répondait que sa sœur pouvait très bien le remplacer et qu’il lui laisserait volontiers le trône et tout ce qui va avec. Il est vrai que la belle et charmante Alexandra, qui est tout le contraire de son frère, aurait sans doute volontiers pris sa place. Mais les parents ne l’entendaient pas ainsi et la scène finissait toujours mal. Les disputes devinrent de plus en plus fréquentes jusqu’au jour où je vois mon Ti-Tom, sac au dos, mèche au vent et sourire au visage, se précipiter vers le portail d’entrée du château. Je l’interroge pour savoir où il va :
- Je m’en vais. J’étouffe ici, dit-il en pointant la façade du château familial de son menton.
- Mais que diront tes parents ? Que vont-ils devenir sans toi ?
Et pour la première fois de sa vie, il me regarde sévèrement et s’écrie :
- Ils deviendront ce qu’ils voudront mais moi, si je reste ici, je meurs.
Puis mon Ti-Tom s’excuse d’avoir parlé trop fort et m’explique qu’il ne veut pas être un Prince et encore moins un Roi, qu’il veut juste être quelqu’un comme tout le monde et qu’il a décidé de partir à l’aventure avec seulement son sac à dos et un peu d’argent. Il me fait promettre de tenir ma langue, au moins pendant deux jours, le temps qu’il s’éloigne. J’essaie de le convaincre de prévenir sa mère qui risque de se faire beaucoup de soucis mais il ne veut rien entendre, alors j’accepte ses conditions et je pose les miennes. Il devra m’envoyer une carte postale à chaque fois qu’il changera de région ou de pays. C’est comme ça que j’ai reçu des cartes postales de nombreux pays d’Europe et pas seulement. J’en ai reçu aussi d’Egypte, du Liban, qui paraît-il est un très beau pays, de la Chine, du Japon, du Canada… Ah ! Quel voyage il se paye ce Ti-Tom. La seule chose que je regrette, c’est de ne pas être parti avec lui.
Surtout que vous imaginez bien que cela a été terrible pour moi de me taire pendant deux jours. Les pauvres parents étaient catastrophés. C’était la folie au château et dans la presse. Tout le monde pensait que le Prince avait été enlevé et on attendait avec angoisse la demande de rançon. Au bout de deux jours, j’ai pu me libérer de mon secret et la Princesse Clélia ne m’a pas fait de reproches tant elle était heureuse d’avoir cette bonne nouvelle. Après tout, je pense qu’elle ne tient pas tellement à ce que son fils devienne roi s’il n’en a pas vraiment le désir.
Voyant cela, je lui ai promis de lui donner des nouvelles à chaque fois que je recevrais une carte postale. Elle m’a chaleureusement remercié.
La semaine dernière, j’ai reçu une carte postale de Suède. Ti-Tom me racontait qu’il avait rencontré la femme de sa vie. « C’est une belle jeune fille intelligente et très naturelle », m’expliquait-il. Ils se connaissent depuis plusieurs mois car il était déjà passé par ce pays l’année dernière. Le coup de foudre étant réciproque, ils ont l’intention de se marier.
Puis, s’adressant au petit garçon, le vieil homme ajoute en riant :
- Et sais-tu ce qu’il y a sur cette carte postale que je viens de recevoir ?
Le garçon fait non de la tête et le vieil homme continue :
- Je te lis ce qui est écrit. Ecoute bien : « L’autre jour, Ingrid ( c’est sa fiancée ) et moi étions sur les rochers et nous admirions la mer. Tout à coup elle m’a pris la main et m’a annoncé d’un ton léger : sais-tu que j’ai le titre de Princesse par ma grand-mère qui était fille du Roi de Suède ? Aussi j’ai le plaisir de t’annoncer que tu deviendras Prince lorsque nous nous marierons. J’ai tourné la tête pour qu’elle ne voie pas ma déception mais vraiment je maudis ce méchant sort qui me condamne à être ce que je ne veux pas. » Et Ti-Tom finissait son courrier en ajoutant : « Toutefois je me console en me disant que je n’ai aucune chance de devenir Roi ici. Alors je ferai en sorte d’oublier mon titre et j’essaierai d’être le meilleur mari du monde. »
Et le vieux serviteur ajoute en souriant :
- S’il ne devient pas Roi, il sera bien le seul à être Prince deux fois ! Comme quoi, on n’échappe pas à son destin.
C’est sur cette parole que le vieil homme s’est levé et est sorti du jardin en ajoutant :
- Si vous venez demain à la même heure, je vous raconterai l’histoire de la petite Princesse Alexandra. Ce n’est pas mal non plus !