dimanche 21 novembre 2010

Au Musée

Tranche d’âge : à partir de 5 ans
Durée : 7 mn

Depuis plusieurs décennies, la famille Grigri habite dans les sous-sols du musée. C’est grand, c’est bien aéré et ce n’est pas bruyant. Et surtout, l’énorme avantage d’habiter dans un musée, c’est de pouvoir s’y promener. C’est décidé, pour rien au monde, les petites souris ne déménageraient.
Evidemment, ce n’est pas toujours facile de se mêler aux visiteurs et c’est parfois risqué de se rendre dans les salles du musée. Elles doivent être prudentes, les petites souris, et un peu malignes aussi pour ne pas être aperçues. Pas de problème pour cela, elles ont très vite compris qu’il suffit de bien observer le surveillant de la salle. Quand ses yeux commencent à se fermer ou qu’il est plongé dans un bon livre, on peut y aller ! Quant aux visiteurs, ils n’ont que faire de ce qui se passe à leurs pieds, ils ont tous le nez collé sur les tableaux exposés à hauteur de leurs yeux.
Les petits trous qui permettent d’aller dans les salles ont été créés par les générations précédentes, alors, à chaque fois que les petites souris s’apprêtent à faire un tour là-haut, elles ne manquent jamais de murmurer :
- Merci arrière-arrière grand-père souris, sans toi, on ne s’amuserait pas autant.
C’est une sorte de prière qu’elles font pour que tout se passe bien. Avant de sortir , elles examinent les chaussures qui défilent, histoire de savoir quel public déambule dans la salle. Bien souvent, ce sont des grandes chaussures, noires ou marron, bien entretenues et bien lacées. Elles concluent alors qu’elles ne trouveront dans cette salle que des adultes bien sages qui marchent tranquillement devant les tableaux en faisant toujours les mêmes commentaires :
- Regarde comme c’est joli, cette couleur est vraiment délicate et cet arrondi est si parfait !
C’est d’ailleurs très souvent ces mêmes visiteurs qu’elles rencontrent dans le musée. Sauf dans la salle des peintures contemporaines, beaucoup plus modernes, ou lors des expositions exceptionnelles. Là, elles voient des chaussures très différentes : des chaussures de sport, des bottes, des chaussures de toutes les couleurs et même des chaussures très rigolotes.
C’est donc cette salle qui est la plus recherchée chez les souris, c’est plus intéressant et surtout plus varié. Parce que j’ai oublié de vous dire que chacune a son « département », comme elles disent. Et ce sont bizarrement les aînées ou les plus fortes qui obtiennent les meilleurs départements. Comme par hasard, la petite souris blanche, en plus d’être souvent moquée par ses frères et sœurs parce qu’elle est différente des autres, a hérité d’un département qui n’a pas beaucoup de succès, c’est la salle des Vanités.
C’est une salle un peu sombre dans laquelle on ne trouve que des tableaux anciens qui ne sont pas très attirants. On y voit des crânes qui côtoient des horloges et des fruits à moitié épluchés. Quel drôle de mélange ! En plus de cela, les tableaux sont si petits qu’on ne distingue pas grand-chose. Oui, la petite souris blanche s’ennuie dans son département et bien souvent, elle n’a rien à raconter aux autres après son petit tour. Elle aimerait bien changer mais qui lui laissera sa place ?
Un jour, en jetant un coup d’œil rapide à son département, elle voit d’abord une paire de baskets, puis deux, puis trois. Ensuite elle aperçoit une paire de ballerines roses. Dans le même temps, elle se rend compte que toutes ces chaussures sont plus petites que celles qu’elle voit d’habitude. Elle entend aussi des voix, des rires. Tout cela est très agréable et change terriblement du grand silence qui règne toujours dans cette salle.
Tout à coup, une paire d’escarpins à talons vient se placer juste devant les autres chaussures et on entend une voix :
- Bonjour les enfants et bienvenue au musée. Je m’appelle Melle Verdurin et je suis votre guide. J’ai choisi de vous montrer ce célèbre tableau d’un peintre hollandais du XIIème siècle qui s’intitule : « Nature morte à la jarre d’argent ». Une nature morte, c’est une œuvre qui représente des objets du quotidien et souvent des tables richement parées. C’est l’occasion pour les artistes de montrer leur savoir-faire. Regardez comme ce tissu de velours est bien rendu, on sent sa douceur comme si on le touchait. Maintenant, observez le second plan.
C’est à ce moment là que la souris blanche a décidé de faire quelque chose pour les enfants. Comment allaient-ils retrouver le premier plan, l’arrière-plan et le second plan si on ne les aidait pas un peu ? Alors, malgré le risque, elle est sortie subitement de son trou, a grimpé sur le mur pour se placer juste à côté du second plan que voulait montrer Melle Verdurin.
En chœur, les enfants font un « Oh » d’émerveillement. Leur guide, très contente, continue ses explications :
- Admirez les beaux fruits à moitié épluchés, prêts à être dégustés ; l’orange et le raisin à droite, le fruit de la passion à gauche…
Cela devient sportif pour la petite souris. Vite, elle court d’un côté à l’autre entraînant les yeux des enfants. Maintenant ils voient ces fruits et sont d’accord avec Melle Verdurin, ils ont l’eau à la bouche. Puis la guide évoque les objets du tableau : toutes sortes de plats, un panier, un couteau et la fameuse jarre d’argent.
Pendant ce temps la petite souris s’agite dans tous les sens pour montrer aux enfants où se trouve chaque objet. Ils comprennent que la jarre est un récipient qui contient un liquide, du vin sans doute.
- Et tout au fond, demande malicieusement Melle Verdurin, que voyez-vous ?
Vite, vite, la petite souris se place bien en face de l’objet à remarquer dans le fond du tableau qui semble tout noir. A la stupéfaction de leur guide, les enfants crient tous en même temps :
- Une autre jarre !
- Très bien, s’exclame-t-elle. C’est une des grandes qualités de ces peintures qu’on appelle des Vanités, précise-t-elle. Elles renferment des trésors invisibles au premier coup d’œil. Et, au lieu d’être tristes et sinistres comme la plupart des gens le pensent, ces peintures sont belles et colorées. Regardez comme les couleurs chaudes des fruits, du pain et de la viande ressortent. Et l’aspect brillant des jarres et des plats ne nous invite-t-il pas à déguster ce bon festin ?
Melle Verdurin est aussitôt interrompue par des « Hum ! » et des « j’ai faim ! » qui rappellent à tous que c’est bientôt l’heure du déjeuner.
- Eh bien les enfants, il ne me reste plus qu’à vous féliciter. Jamais je n’ai vu une classe aussi intéressée et aussi observatrice.
En disant ces mots , elle applaudit très fort et s’incline légèrement pour remercier son public attentif. A leur tour, les enfants applaudissent. Melle Verdurin est toute rose de satisfaction mais la petite souris sait bien à qui sont réellement destinés ces applaudissements. Elle est très heureuse et plus jamais elle ne demandera à changer de département, il lui reste tant de tableaux à regarder !