dimanche 18 juillet 2010

Le Tour du monde

Tranche d’âge : à partir de 5 ans
Durée : 5 mn 30

Célestin et moi avons fait le tour du monde cet après-midi. En une heure seulement ! Je pense que tous les deux, mon petit frère et moi, nous pourrions rentrer dans le livre des records, non ? Je vais vous raconter comment on a pu faire cet exploit.
D’habitude, c’est le mardi que Maman va voir les voisins, Germaine et Félix, qui sont très âgés. Elle leur apporte quelques courses et reste un petit moment avec eux pour les distraire. Mais comme c’est les vacances, elle nous a emmenés avec elle aujourd’hui.
- Vous ne ferez pas trop attention au grand-père Félix, nous a-t-elle dit avant de partir, il perd un peu la tête parfois.
Ils avaient l’air bien contents tous les deux quand nous sommes arrivés. Surtout Germaine qui attendait avec impatience ses chocolats préférés. Maman a discuté un peu avec eux : du temps, de leur santé, des potins du village, puis Félix nous a fait un signe pour qu’on le suive. Nous l’avons accompagné avec son fauteuil roulant jusqu’à la porte qui ouvre sur le jardin.
- Venez, venez, a-t-il dit, ce n’est pas là que je veux vous emmener. C’est le jardin de Germaine, celui-là. Elle n’en a que pour ses roses, que voulez-vous, à son âge !
Il nous a alors entraînés jusqu’au parc qui se trouvait derrière le jardin. Là, nous l’avons vu se dresser sur ses deux jambes et il nous a déclaré en prenant une canne près de la barrière :
- C’est debout que je veux dire bonjour à mes arbres !
A ce moment précis, on s’est souvenus de ce que notre mère nous avait dit à propos de Félix. Mais lorsque nous avons pris le premier sentier, il nous a montré des arbres en nous expliquant :
- Regardez, celui-là, c’est un théier sauvage que j’ai ramené de Chine. Dans un petit village qui s’appelle Bada, dans la province du Yunnan, il y en a un qui est là depuis 1700 ans. Vous voyez, moi, à côté, je suis un jeunot ! Là, c’est le fameux Ginkgo biloba, avec ses feuilles en éventail. C’est le symbole de la ville de Tokyo. Son origine est exceptionnellement ancienne, on parle de millions d’années, nous a-t-il dit en nous regardant droit dans les yeux.
On ne savait plus quoi penser, Félix commençait à nous impressionner. Puis il a poursuivi :
- Changement de continent. Vous voyez ici un araucaria. Il n’a que 25 ans celui-là, mais celui que j’ai vu au Chili en avait environ 800 ! On l’appelle aussi le désespoir des singes, tout simplement parce que ses aiguilles sont si piquantes qu’ils ne peuvent y grimper. Là-bas, il y a aussi un arbre majestueux qui saigne lorsqu’on l’abat. Oui, on dirait vraiment qu’il saigne : sa sciure est toute rouge. Je le sais bien que les arbres sont vivants, c’est pour cela que je viens les voir tous les jours et que je leur parle. Je les admire et je les félicite de leurs progrès. Car ils sont tous encore petits mais vous verrez plus tard, le beau parc qu’ils feront tous ensemble. On viendra les voir de loin, peut-être même par cars entiers. Les gens ne me verront pas mais je serai encore un peu là, avec mes arbres. Je regarderai les promeneurs d’en haut.
Célestin, qui est encore petit, a demandé :
- Est-ce que tu leur parleras, aux gens ?
- Non, ce sont les arbres qui raconteront leur propre histoire, a répondu Félix en me regardant, pensant peut-être que je comprendrais mieux. Quand ils verront celui-là, si beau, si majestueux, ils l’admireront et le respecteront, comme moi. Ils s’interrogeront alors sur sa provenance. Ils sauront que c’est le cèdre du Liban, que c’est un arbre sacré et qu’il figure même sur le drapeau du pays. Alors ils voudront comprendre et ils chercheront à connaître ce pays magnifique.
Mon petit frère s’est mis à courir partout, comme s’il voulait tout savoir sur ces futurs grands arbres qui venaient du monde entier. Il ne cessait de demander :
- Et celui-là ? Et celui-là, comment qu’il s’appelle ?
Le pauvre Félix avait du mal à suivre avec sa canne, il était un peu essoufflé mais on voyait qu’il était enchanté de l’impatience de Célestin.
- Oh là là, il en faudrait du temps pour te les présenter tous ! J’en ai vu des pays et des arbres ! A chaque voyage, j’ai rapporté une graine et je l’ai plantée dans ce parc. Il y a un cyprès de Toscane, en Italie, un olivier d’Espagne, un figuier du Maroc, un érable du Canada, un bananier de la Côte d’Ivoire. Tiens, et ça, c’est un baobab que j’ai ramené du Sénégal. Regarde comme il est petit, mais il deviendra fort et costaud, comme toi !
Célestin était aux anges, vous imaginez bien !
- Ah ! si ! a dit Félix après réflexion, le seul continent où je ne suis pas allé, c’est l’Australie. Je le regrette parce que j’aurais certainement trouvé des arbres fabuleux. C’est si grand ! Mais c’est trop tard maintenant. D’ailleurs, je suis fatigué, rentrons.
Cinq minutes plus tard, il était à nouveau dans son fauteuil roulant et nous sommes arrivés dans le salon où se trouvaient Germaine et Maman qui a dit à Félix :
- Alors, vous avez fait votre petit tour ?
J’ai compris, quand j’ai entendu le ton qu’elle a utilisé, qu’elle n’était pas au courant pour les arbres de Félix.
Puis nous avons goûté et sommes repartis après avoir embrassé Germaine et Félix. Dans la voiture, Maman a dit :
- Le pauvre Félix, il ne vous a pas trop embêtés ?
Elle a eu l’air surprise quand je lui ai répondu :
- Non, mais quand je serai grand, j’irai en Australie !
Et c’est vrai, je sais ce que je veux faire maintenant. J’irai en Australie et je ramènerai plein de graines pour faire pousser des arbres.