dimanche 31 octobre 2010

Les Géants dans la ville

Tranche d'âge : à partir de 6 ans
Durée : 6 mn


- Maman, maman, viens voir, y-a une géante dans la rue !
- Ah bon ! répond la maman de Martin. Elle est aussi grande que Tante Elisabeth ?
- Mais non, maman, c’est une vraie géante ! Je vois ses genoux et elle porte une robe bleue.
La mère de Martin est intriguée, elle s’approche de la fenêtre de leur appartement et s’écrie :
- A-t-on jamais vu ça ! Une géante dans la ville !
Elle ouvre alors précipitamment la fenêtre pour mieux voir. En effet, la géante est une petite fille. Elle est très jolie avec ses longs cils qui abritent un regard doux et tranquille, ses cheveux bruns coupés courts avec juste quelques mèches qui habillent joliment le visage enfantin. Quel drôle de personnage ! On a envie de la prendre dans les bras mais c’est une géante. On a envie de lui prendre la main mais c’est elle pourrait qui pourrait attraper au moins deux adultes d’un coup. La maman de Martin n’y tenant plus et laissant son panier de linge à moitié étendu, saisit le bras de son fils et dit :
- Viens, on va aller voir ce qui se passe !
Ils ne sont pas les seuls à avoir eu cette idée. Une foule déjà se presse autour de la petite géante qui avance d’un pas assuré. Comment fait-elle ? Des hommes, aussi légers que des mouches, aussi agiles que des écureuils, manœuvrent la gigantesque marionnette. Les gens regardent son beau visage si vivant et ses lèvres qui disent des paroles qu’on n’entend pas. Que veut-elle ? Pourquoi se promène-t-elle ainsi dans la rue d’Hastings ? Où va-t-elle ? Tout le monde s’interroge et les habitants de la rue, qui d’habitude vivent côte à côte sans se parler, demandent à leur voisin :
- Avez-vous entendu quelque chose à propos de cette petite fille ?
- Non, répond l’autre. On n’a rien vu, ni dans les journaux, ni à la télé, mais je suis bien curieux de savoir où elle va !
S’interrogeant ainsi, les adultes semblent redevenus des enfants. Et malgré le ciel un peu gris de Normandie, tout le monde rit. Puis certains s’arrêtent et contemplent l’événement. Pas de musique, pas de message, juste des cœurs qui battent ensemble autour d’une petit fille qui marche.
On arrive bientôt au bout de la rue, là où se dresse l’Eglise Saint Nicolas. On dirait que c’est sa maison et qu’elle va y rentrer, tout naturellement. Mais elle continue vers la gauche, remonte légèrement la rue St Gabriel puis passe devant la caserne des pompiers avant de rejoindre l’Avenue du Canada.
Tout à coup, on entend une rumeur :
- Rue de Lebisey ! Rue de Lebisey ! Un autre géant !
- Un autre géant dans la ville ! s’étonne la maman de Martin. Mais comment est-il ? Est-il aussi grand que notre petite géante ? demande-t-elle à ceux qui semblent savoir quelque chose.
- C’est un ami qui m’a appelé, répond quelqu’un. Le géant est habillé en marin, il porte un ciré jaune. C’est tout ce que je sais. Ah oui, j’oubliais, mon ami m’a dit qu’il était aussi haut que son immeuble de trois étages.
La curiosité atteint son comble. On n’entend plus qu’un grand silence, chacun se concentrant sur ses propres interrogations.
Maintenant, on a l’impression de marcher vers quelque chose. Ces deux-là vont-ils se rencontrer ? Où ? Que va-t-il se passer ? On ne sait pas qui, de Martin ou de sa mère, entraîne l’autre, mais les deux marchent ensemble d’un pas sûr et tranquille.
L’homme qui a renseigné la mère du garçon tout à l’heure la rejoint discrètement et lui glisse à l’oreille avec un sentiment de complicité :
- Il est maintenant en haut de la rue du Vaugueux.
Elle sourit pour remercier et serre un peu plus fort la main de son enfant. Etant donné que la petite géante prend les Fossés St Julien, il se pourrait qu’ils aillent dans la même direction, pense-t-elle, et elle frémit à l’idée d’une probable rencontre. Ses jambes avancent toutes seules et sa tête est légère. Rien ne peut l’arrêter, ni elle, ni les autres. Ils sont fiers et heureux d’accompagner la petite géante qui va quelque part.
Arrivé au bout des Fossés St Julien, le cortège contourne l’ancienne Ecole des Beaux-Arts et longe les remparts du château. Tout le monde pense qu’elle va s’arrêter là, au pied du château qui représente les fondations de la ville. Mais elle passe, toujours aussi sûre d’elle, devant l’Eglise St Pierre et s’engage dans le Boulevard des Alliés.
A ce moment là, on entend une sonnerie de téléphone portable et quelqu’un qui répond :
- Ah bon ! Où est-ce qu’il est coincé ? … Dans le Vaugueux ?… Mais où exactement ?… Dans la petite rue Graindorge ? Oui, oui, je sais où c’est. Effectivement, il ne pourra pas en sortir, il doit vite retrouver l’Avenue de la Libération, parce que nous, on arrive !
La crainte est maintenant palpable dans la foule. Et si leur rencontre était ratée ? Pourvu que ça n’arrive pas.
Rassurez-vous, cela n’arrivera pas. Le destin de ces deux-là est scellé. Ils doivent se rencontrer. Pourtant, on ne sait toujours pas qui ils sont.
Enfin, c’est la délivrance. On aperçoit un immense géant, bien plus grand que la petite fille. Il est aussi suivi par une foule concentrée mais qui ne peut se retenir en voyant la petite géante dans sa robe bleue. Ce sont alors des « Oh ! » d’étonnement suivis de « Ah ! » d’admiration de part et d’autre.
Doucement maintenant, les deux géants s’approchent l’un de l’autre. Dès qu’ils ont pu s’apercevoir, leurs regards se sont rencontrés et ne se quittent plus. Puis ils s’arrêtent au même moment au pied de la Tour Leroy, se tenant toujours par le regard. Cette tour, appelée aussi Tour Guillaume-le-Roy, est un point d’ancrage dans la ville. C’est un vestige des fortifications de la ville médiévale indispensable alors pour relier ses deux rives. Aujourd’hui, elle accueille les visiteurs qui rentrent au cœur de la ville et souhaite Bon voyage à ceux qui prennent le large par le Bassin St-Pierre. Depuis qu’elle a été restaurée, la tour est vraiment magnifique dans sa belle robe blanche de Pierre de Caen.
Mais revenons vers nos deux géants. Tout le monde attend. Le silence est intense. Personne n’aurait l’idée de le troubler. Claquements soudains de rouages et la petite fille doucement se dirige vers les bras ouverts du géant au ciré jaune. Qui est donc cet homme dont les cheveux grisonnants atteignent les épaules et dont le sourire est si tendre ? Bientôt la petite géante se loge parfaitement dans ses bras, exactement comme le ferait la dernière pièce d’un grand puzzle.
Le silence dure encore longtemps avant les applaudissements nourris.
Martin n’est pas prêt d’oublier ce jour-là. Mais comment pourra-t-il raconter cette histoire à ses copains qui sont en vacances et qui n’ont rien vu ? Ils le prendront certainement pour un fou. Tant pis, il leur dira tout !


Merci à la Compagnie Royal de Luxe pour ses idées folles et son génie.