dimanche 14 mars 2010

Le Blaireau de Thibaud

Tranche d’âge : à partir de 4 ans
Durée : 6 mn

Les parents de Thibaud viennent de déménager. Thibaud n’est pas content, il a perdu tous ses copains. Sa maman a bien tenté de le rassurer en lui disant :
- Ne t’en fais pas, Thidaudet, puisque que nous avons un grand jardin, nous inviterons tous tes copains !
Oui mais ses copains sont loin maintenant et Thibaud pense qu’ils ne viendront pas. Quelle drôle d’idée de déménager si loin du quartier ! La maison est moche et elle est beaucoup trop grande. Comme le jardin d’ailleurs. Enfin, ce n’est même pas un jardin, c’est un champ plein de trous, on ne peut ni faire du vélo ni jouer au foot. C’est simple, c’est un jardin qui ne sert à rien.
Mais l’autre jour, Hubert est arrivé . C’est l’oncle de Thibaud. D’abord, il a fait comme les parents. Il a regardé partout en s’exclamant :
- Vous avez un lambris magnifique dans la salle de bain !
Puis il a ajouté :
- Oh ! Et ce carrelage ! J’aurais acheté cette maison rien que pour le carrelage !
« Il n’y a pas que les enfants qui disent n’importe quoi », pensait Thibaud quand, tout à coup, Hubert lui a demandé :
- Alors, mon p’tit bonhomme, tu l’aimes bien ton jardin ?
Le moment était bien choisi pour dire ce qu’il avait sur le cœur. Alors Thibaud a tout révélé et a déclaré qu’il n’irait jamais jouer dans ce jardin inhospitalier. Les adultes ont fait une drôle de tête mais Hubert ne s’est pas démonté et a réussi à convaincre Thibaud de l’accompagner à la recherche du trésor que recèle chaque petit bout de jardin.
Hubert a bien vu qu’il y en avait des trous. Partout ! Mais il a commencé à les regarder de près et Thibaud a été intrigué par les propos de son oncle qui marmonnait :
- Mais oui, c’est bien ça ! Oh la la ! Et là, et là encore ! On ne va pas tarder à le trouver !
- De quoi parles-tu Tonton Hubert ? J’comprends rien du tout !
- Le voilà, le voilà, criait Hubert tout excité, en montrant un trou plus important.
Puis il s’est enfin décidé à expliquer :
- Tu vois ce trou ? C’est un terrier de blaireau. Et tous les petits trous en forme d’entonnoir qu’on a vus autour sont des toilettes.
- Des toilettes ? a demandé Thibaud avec curiosité.
- Oui, pour faire leurs besoins, regarde, on voit même des petites crottes séchées ici, a précisé Hubert. Les blaireaux ne sont pas idiots, tu sais, ils creusent des petits trous à l’extérieur de leur terrier. Cela leur évite l’odeur, tu comprends. Tiens, et regarde ici, il y a des empreintes. Elles sont caractéristiques des pattes de blaireau : cinq doigts griffus, avec le plus petit à peine visible, et une plante assez large.
- Mais, alors, tu crois qu’ils sont encore là, a demandé Thibaud intéressé ?
- C’est sûr et certain, a répondu Hubert. Regarde la terre encore fraîche qu’ils ont évacuée à l’extérieur. Non seulement ils sont là, mais ils continuent à aménager leur terrier. Sais-tu qu’ils ont plusieurs pièces : une chambre pour les enfants, une chambre pour les parents …Le blaireau est un excellent terrassier, il peut remuer jusqu’à quarante tonnes de terre pour creuser une galerie. Et ces galeries sont sans cesse améliorées parce qu’elles peuvent être habitées pendant des dizaines d’années et même des siècles. Tu vois, elles s’étendent peut-être partout sous ton jardin. Mais, ne t’inquiète pas, il ne va pas s’écrouler parce qu’elles sont creusées jusqu’à trois ou quatre mètres de profondeur.
Hubert était intarissable sur les blaireaux mais Thibaud a quand même réussi à l’interrompre pour lui demander, lui aussi tout excité :
- Tu crois qu’on peut en voir un ?
- Pas maintenant, ils ne sortent que la nuit ou bien le soir. Et de toutes façons, ce n’est pas la saison, il faudra attendre. Ils restent inactifs tout l’hiver au fond de leur terrier.
Maintenant Thibaud voulait tout savoir sur le blaireau. Son oncle l’a renseigné sur son apparence :
- Tu ne pourras pas te tromper quand tu le verras, lui a-t-il précisé. Son corps est gris argent et plutôt massif. Quant à son museau, il est pointu avec deux larges raies noires qui traversent les yeux et qui ressortent bien sur sa tête toute blanche.
Il l’a renseigné aussi sur sa nourriture, son caractère, ses prédateurs :
- C’est l’homme qui menace le blaireau, et uniquement l’homme. Qui le menace et qui le chasse, depuis toujours. C’est pour cela que c’est très rare d’en apercevoir des traces près des habitations. Tu peux t’estimer chanceux.
C’était inutile maintenant de le rappeler à Thibaud car, en un clin d’œil, il était devenu fou de son blaireau.
Depuis, tout a changé pour lui. Il aime sa maison et surtout son jardin. Tous les soirs en rentrant de l’école, il se précipite du côté du terrier et regarde attentivement s’il n’y a pas de nouvelles traces. Jamais il n’a attendu si longtemps la venue du printemps. Heureusement ses parents n’ont rien dit à propos du blaireau, en tout cas ils n’ont jamais parlé de l’éliminer.
Mais un jour la catastrophe arrive de l’autre côté du jardin. Thibaud aperçoit la voisine qui discute avec sa maman depuis un moment en faisant de grands gestes. Intrigué, le garçon prend son ballon et fait semblant de shooter au hasard pour se retrouver près des deux femmes.
C’est bien ce que craignait Thibaud. On veut faire du mal à son blaireau. La voisine est en train de répéter :
- Oh mais, ne vous inquiétez pas, je sais me défendre ! Ce n’est pas la première fois que le renard mange mes poules. Surtout ne laissez pas traîner votre fils dans les parages, parce que j’ai mis un piège capable d’attraper tout ce qui bouge. T’as bien compris mon p’tit ? ajoute t-elle, en direction de Thibaud.
Oui, le « p’tit » a bien compris que s’il n’agit pas tout de suite, son blaireau pourra se retrouver coincé dans la gueule d’un piège mortel, dès sa première sortie. Que doit-il faire ? Il ne sait pas. Il court vers sa chambre en ravalant des larmes de rage et de désespoir. En passant devant le salon, il entend le téléphone. Il n’a pas envie de répondre mais il est seul dans la maison, alors il décroche le combiné. Lorsqu’il reconnaît la voix familière de Hubert, les sanglots arrivent d’un coup et tout ce qu’il dit devient incompréhensible. Mais son oncle, ayant appris la patience en observant les animaux, attend que son neveu se calme. Puis, lorsqu’il a bien compris la situation, il se contente de dire :
- Ne t’inquiète pas, j’arrive ! En attendant, cherchons une solution chacun de notre côté.
Thibaud a un allié maintenant, il n’a plus peur. Il ouvre en même temps tous ses journaux qui parlent d’animaux mais il ne voit que des museaux rigolos et des pelages soyeux. Rien du tout sur les méchants pièges carnivores, capables de dévorer ces petits animaux inoffensifs. Tout à coup il tombe sur « Le journal de ma maison » qui s’est sans doute égaré là pendant le déménagement et qui s’ouvre presque automatiquement sur un article intitulé : « Comment se débarrasser des fouineurs et autres voleurs qui rôdent autour de votre maison à la campagne ? » Thibaud parcourt l’article, ne comprend pas tout mais finit par s’intéresser de près à un mot qui revient sans arrêt.
Quand Hubert arrive, le neveu et l’oncle prononcent ensemble le même mot, en guise de bonjour : « Répulsif ! »
- Ah, tu as trouvé aussi ? s’exclame Hubert. Bravo mon Thibaud ! Je n’en avais pas chez moi, alors regarde ce que j’ai trouvé dans ma pharmacie : du bain de bouche antiseptique ! C’est marqué sur la notice que ça éloigne les animaux : ils détestent l’odeur alors que les hommes ne la perçoivent pas. Tu verras qu’avec ça, ta voisine n’attrapera rien dans son affreux piège !
Dès le soir venu, Hubert et Thibaud sont sortis faire un tour et l’oncle a montré à l’enfant comment disperser le bain de bouche sur le piège en faisant bien attention de ne toucher à rien.
Et depuis, chaque soir, Thibaud accomplit son petit rituel : un peu de bain de bouche sur les crocs affamés du méchant piège et le tour est joué.
L’opération est un véritable succès car, deux semaines plus tard, en apportant les premières salades de son jardin, Huguette, la voisine, a déclaré qu’à sa grande surprise, aucun renard n’avait été pris et qu’elle avait donc enlevé le piège.
Décidément tout va bien aujourd’hui : il fait beau, les parents sont de bonne humeur et Huguette a cessé la guerre aux petites bêtes. C’est le moment pour Thibaud de proposer ce qui lui tient à cœur depuis un bon moment : inviter tous ses copains à venir camper une nuit au fond du jardin, pour assister à la sortie nocturne de son blaireau.
Et comme décidément tout va bien aujourd’hui, la maman de Thibaud répond :
- Oui, pourquoi pas ? C’est une très bonne idée.
Il ne nous reste plus à espérer, mes amis, que le blaireau aura bien noté la date du rendez-vous, lui aussi !