dimanche 5 septembre 2010

Les Chats de Mary

Tranche d’âge : à partir de 4 ans
Durée : 6 mn

- Come here, come here babies !
Autrement dit :
- Venez, venez par ici mes petits chéris !
Voilà ce qu’on pouvait entendre tous les après-midi vers cinq heures si l’on passait près de la maison de Mary, dans le quartier de Barnet, banlieue de Londres.
Mary a soixante-dix ans. Ou plus. Sans doute beaucoup plus. Ses cheveux ramassés en chignon sur la nuque sont blancs depuis longtemps. Sa longue jupe grise rassemble comme elle peut les rondeurs de la vieille femme et ses chaussures ressemblent à des chaussons. Pas étonnant, ce sont des chaussons. Elle ne sort plus beaucoup depuis que son mari n'est plus là. Et puis, le quartier n’est plus ce qu’il était, pense-t-elle.
Un jour elle a entendu des miaulements autour de sa maison. Intriguée, elle a ouvert sa porte et qu’a-t-elle vu ? Un joli petit minou qui semblait complètement perdu.
- Quelle aubaine, a-t-elle dit à l’animal effrayé, c’est l’heure du thé ! Viens donc, tu dégusteras des petits morceaux de mes biscuits préférés.
C’est exactement comme ça que tout a commencé. Ce petit chat est resté. Mary lui trouvait toutes les qualités : il avait bon caractère, son poil était soyeux et son doux ronronnement la berçait. Jamais elle n’avait pu avoir un animal avec Henry, son mari ; il ne les aimait pas.
Elle rattraperait tout ce temps perdu. Ses placards étaient remplis de biscuits, elle pouvait les partager avec de nombreux petits amis.
Alors elle a pris l’habitude de laisser sa porte ouverte, au cas où un autre petit chat viendrait à s’égarer dans son quartier. C’est ce qui est rapidement arrivé au début des vacances. De nombreux propriétaires de chats sont partis en vacances sans vraiment prévoir ce qu’ils feraient de leur animal. Au bout de deux jours, celui-ci se retrouvait affamé et n’ayant plus de toit où se réfugier. Peut-être était-il aussi attiré par l’appel qui provenait de la maison de Mary, tous les jours vers cinq heures :
- Come here, come here babies !
Il en est venu comme ça au moins une douzaine. A ce stade, Mary a pensé que c’était suffisant, alors elle a fermé sa porte. Mais elle avait oublié une chose essentielle ; parmi tous ces jolis minous, il y avait des chats et … des chattes. Au bout de quelques semaines, ces dernières ont mis bas et lui ont offert de jolies petites boules frémissantes, sans poils, mais avec des moustaches. Comme plusieurs portées sont arrivées en même temps, la vieille femme s’est vite retrouvée débordée par ses amis à quatre pattes. Que faire ? Impossible de les laisser s’en aller. Où iraient-ils ? De toutes façons, elle s’était attachée à chacun d’eux et ne voulait pas les perdre.
La coïncidence veut qu’au même moment, une petite fille du quartier perde son chat. Susan, c’est son nom, n’hésite pas. Elle frappe à toutes les portes en disant à tout vitesse :
- Vous n’auriez pas vu mon chat, il est tout noir, il a deux petites oreilles pointues et sa queue est coupée. S’il vous plaît, vous n’auriez pas vu mon chat ?
La pauvre enfant a répété quinze fois ces paroles sans succès. C’est terrible, il est déjà cinq heures, cela fait donc presque vingt-quatre qu’elle n’a pas revu son Poséidon. Elle lutte contre son découragement lorsqu’elle entend :
- Come here, come here, babies !
La voix est chaleureuse, alors elle espère à nouveau et tente sa chance en frappant à la porte de Mary.
Mais c’est affreux ! Une odeur pestilentielle, mélange d’urine et de crottes de chats, lui pique le nez et le spectacle qu’elle découvre la laisse sans voix. Des chats, des chats partout, une saleté répugnante et une vieille femme qui ressemble à une sorcière.
Quelques chats profitent de la porte ouverte et s’enfuient. Pour eux aussi, la situation est devenue intenable. Malgré son dégoût, Susan pénètre dans la maison pour voir si elle ne retrouve pas son chat. Mary ferme la porte et supplie la petite fille :
- Tu ne diras rien, n’est-ce pas ? Je ne veux pas qu’on m’enlève mes chats. C’est tout ce qu’il me reste, tu comprends ?
Entre temps, deux autres personnes se dirigent vers la maison de Mary. Il s’agit d’un policier qui a repéré la bande de chats jaillissant hors de la maison et de la mère de Susan qui cherche sa fille. Tous deux frappent à la porte.
Horrifié par ce qu’il voit, le policier hurle :
- J’appelle tout de suite les services vétérinaires ! Ils viendront liquider tout ça !
Mais Susan, qui a compris à quel point les chats comptent pour Mary, se tourne alors vers sa mère et plaide la cause de la vieille femme pendant que le policier dresse le procès verbal.
Un instant plus tard, c’est au tour de la mère de Susan de défendre Mary. Elle demande au policier de lui accorder un délai, sinon cette vieille dame mourra de chagrin :
- Justement, le conseil du quartier doit se réunir ce soir, précise-t-elle. Je vous promets qu’on mettra ce problème à l’ordre du jour et qu’on trouvera une solution.
Le policier, qui ne veut pas être responsable de la mort d’une personne, finit par accorder ce délai et s’en va en ronchonnant.
C’est Susan elle-même qui annonce la bonne nouvelle à Mary : le conseil du quartier a proposé que chaque famille adopte un chat. Quand la vielle dame voudra le voir, il lui suffira de téléphoner à la famille qui viendra la chercher. La petite fille s’empresse aussi de rassurer la vieille dame ; elle a retrouvé Poséidon, tout simplement blotti sous la haie des voisins.
Dès le lendemain, des volontaires sont venus nettoyer la maison de Mary.
Maintenant il ne se passe plus un jour sans visite à une famille. Mary est ravie ; ses chats sont bien nourris et bien installés. Quant à elle, elle n’est plus jamais seule et apprécie beaucoup sa nouvelle vie.
Un jour, une maîtresse de maison lui dit :
- Savez-vous Mary que votre chat a le cafard quand vous partez. Chaque fois il refuse ses croquettes le soir !
Mais Mary sait que son chat n’est pas malheureux. Elle connaît la raison du « cafard » ! Ce sont ses bons biscuits tout dorés, les meilleurs de Londres, qu’elle transporte dans ses poches et qu’elle distribue discrètement au chat, dès que les gens ont le dos tourné. Et si on écoute bien, on entend une petite voix qui murmure :
- Come here, come here, baby !