dimanche 28 février 2010

Alerte !

Tranche d’âge : à partir de 4 ans
Durée : 6 mn

Dans l’immeuble de Gautier et de ses copains, il y a une grande entrée. On appelle ça un hall d’immeuble. Les appartements sont tout petits mais le hall est immense, avec plein de glaces qui nous font croire qu’on est dans un palace. C’est la grand-mère de Gautier qui l’a dit ; la première fois qu’elle a visité leur appartement, elle s’est écriée :
« C’est beaucoup trop grand pour un immeuble d’habitation ! ça fait peut-être standing mais c’est un peu trop ! Ils auraient mieux fait de faire des appartements un peu plus spacieux.»
Puis elle a ajouté d’un air résigné, en haussant les épaules :
« Enfin, c’est comme ça de nos jours, le tape à l’œil avant tout ! »
Et c’est justement ce qui avait attiré la famille Souricette, ce grand hall où les enfants pouvaient courir à volonté, se dépenser toute la journée pour mieux dormir la nuit. Mais attention, il fallait prendre certaines précautions. Il devait toujours y avoir une souris pour veiller sur les entrées et les sorties.
Quand les habitants de l’immeuble rentraient, la souris avait le temps de donner l’alerte. Tout le monde se cachait et se tenait tranquille puis aussitôt après, on se précipitait pour « faire les courses ». Le plus souvent la famille Souricette récupérait des miettes de pain tombées des baguettes toutes fraîches. Et parfois on pouvait prélever des pelures d’oignons qui venaient du filet à provisions de Mme Trognon ou des petits pois qui tombaient du cabas de Mme Tralala. Ludo, le plus téméraire des souriceaux, avait même un jour réussi à grimper le long du panier de Mme Pommier pour attraper, devinez quoi, une pomme ! Tout le monde s’était bien régalé.
Mais un jour, la petite sœur de Ludo est restée après le couvre-feu. C’est le moment où toutes les petites souris doivent impérativement rentrer dans la cave parce que c’est beaucoup trop risqué, le hall est envahi d’enfants qui rentrent de l’école, de parents qui reviennent du travail ou d’habitants qui rejoignent leur appartement après un après-midi de shopping. A cette heure-là, les parents interdisent à quiconque de montrer la moindre moustache ou le plus petit bout de museau. Et le pire, c’est que les parents ont raison. La preuve ce jour là où la catastrophe est arrivée.
La petite souris qui n’était pas rentrée à temps, c’était Patate. Ce n’était pas son vrai nom, vous imaginez bien, c’était seulement celui que Ludo lui avait donné parce qu’elle n’avait jamais réussi à rapporter autre chose qu’une épluchure de pommes de terre. Elle voulait absolument assister au défilé des habitants de l’immeuble ce soir là, et montrer justement qu’elle n’était pas une « patate ». Elle s’était cachée sous les boîtes aux lettres, plus exactement sous un tas de journaux publicitaires dont personne ne voulait.
Melle Laventure avait poussé la porte de l’immeuble et s’était précipitée sur son courrier. Elle revenait d’une expédition chez les Indiens Hatupi. C’était un grande jeune femme sportive et très dynamique. Comme elle faisait des études d’ethnographie, elle voyageait beaucoup. Elle allait dans des contrées reculées et inconnues et aimait à dire qu’elle n’avait jamais eu peur, même au milieu de la jungle.
Le courrier s’était accumulé dans sa boîte aux lettres pendant son séjour chez les Indiens et quand elle l’avait ouverte, plusieurs lettres avaient dégringolé par terre. Elle s’était baissée pour les ramasser et voulait en profiter pour mettre à la poubelle tous les journaux qui traînaient. Ce fut à ce moment précis que tout l’immeuble entendit un hurlement :
- Au secours ! A l’aide ! Une souris !
Le cri s’était terminé en véritable sanglot :
- Une sou-ou-ou-ou-riiiiiiis !
Tout le monde était accouru pour constater l’agression. Mais les habitants alertés n’avaient vu que la petite queue de Patate disparaître vers la cave. D’abord ils furent rassurés : il n’y avait pas de blessés. Puis ils furent aussi un peu satisfaits de voir que finalement Melle Laventure pouvait avoir peur comme tout le monde. Elle gisait parmi ses valises avec un regard d’épouvante qui trahissait une grande frayeur. Seul M. Pantin qui menait une vie bien tranquille entre son bureau et son appartement avait dit :
- Ah ! vous êtes rentrée, Melle Laventure. Ca s’est bien passé votre voyage ?
Puis la vie de l’immeuble avait repris son cours.
Mais en rentrant de l’école jeudi dernier, Gautier a été attiré par un drôle de mot affiché sur la porte de l’immeuble. Il a alors demandé à son copain Ali qui est au CP avec lui :
- Dis, Ali, tu connais ce mot là ? Qu’est-ce que ça veut dire ? La maîtresse ne nous l’a jamais montré.
Et les deux garçons ont épelé ensemble : Dé-sou-ri-sa-tion.
Les voyant dans l’embarras, une maman qui passait par là, leur a expliqué que la brigade d’intervention contre les rats et les souris allait passer le lendemain pour éliminer toute cette vermine.
- Quoi ! ont dit les garçons dans un souffle à peine audible.
Ils se demandaient bien en effet pourquoi on voulait éliminer des petites souris qui ne faisaient de mal à personne. En un regard, ils se sont compris. Il fallait absolument trouver un moyen de les sauver !
Le goûter ce jour là fut vite pris, les leçons vite faites et dès que le soir fut tombé, on vit deux petites ombres se diriger vers la cave. On entendit des chuchotements mais impossible de comprendre de quoi il était question.
Comme d’habitude, le lendemain matin, Ali et Gautier se rejoignirent sur leur palier au cinquième étage avant de prendre l’ascenseur ensemble. Ils semblaient un peu tendus. Finalement ils décidèrent de prendre l’escalier qui les mènerait directement à la cave. C’était leur plan : ils avaient mis du coton tout doux au fond de leur cartable pour y déposer les petites souris et les emmener loin du danger.
Tout se passa très bien jusqu’au moment où ils durent laisser passer deux hommes grands et costauds, entièrement revêtus d’une combinaison fluo et lourdement équipés. Les enfants comprirent tout de suite qu’ils s’agissait de la fameuse brigade d’intervention. Ils baissèrent les yeux pour éviter le regard de ces tueurs de souris mais ce qu’ils virent les effraya davantage : c’étaient d’énormes chaussures noires avec de grosses boucles qui couvraient aussi le bas de la jambe. Heureusement Ali retrouva vite un peu de sang-froid et dit bien fort :
- Allez, dépêche-toi Gautier, on va être en retard à l’école !
Et ils filèrent bien vite. Ils coururent jusqu’à chez Léa dont le papa avait un écurie à la périphérie de la ville.
C’est dans un box inoccupé, bien garni de paille fraîche et qui servait aussi de réserve pour les aliments des chevaux que nos deux amis déposèrent la famille Souricette, encore un peu étourdie du voyage brinquebalant qu’elle avait effectué au fond des cartables. Léa qui avait rejoint ses camarades dit aux petites souris :
- Bonjour les jolies petites souris, vous êtes les bienvenues ici. Vous ne manquerez de rien et vous aurez toute liberté pour courir partout. C’est moi qui veillerai sur votre sécurité.
Les deux garçons regardèrent alors la petite fille avec reconnaissance et admiration. Puis, après avoir bien installé les souris, les trois enfants partirent pour l’école.
C’est alors que Ludo se tourna vers sa petite sœur et dit :
- Merci, Pat… euh… Patchouli, et cette fois c’était son vrai nom, grâce à toi, ma petite sœur chérie, nous voilà au paradis des souris !

Et vous, mes amis, si vous trouvez l’écurie de Léa et de son papa, vous pourrez les voir, car je suis sûre qu’elles y sont encore.