dimanche 18 avril 2010

Allez Alexandre !

Tranche d'âge : à partir de 4 ans
Durée : 5 mn

Depuis qu’il fait beau, tout le monde a sorti son vélo. La famille Mathieu n’a pas échappé à la règle. Papa a emmené les vélos à l’atelier de Vincent pour faire le grand entretien du printemps, ainsi chacun pourra enfourcher son deux roues et aller arpenter les chemins environnants.
Enfin, c’est le premier jour des vacances. Le meilleur ! Il en reste encore tant qu’on ne peut même pas imaginer la rentrée. Quel bonheur !
Mais ce serait encore mieux s’il n’y avait pas Oscar, le petit frère d’Alexandre. On dirait qu’il ne sait rien faire tout seul :
- Alexandre, j’arrive pas à défaire le nœud !
- Alexandre, ma voiture est tombée dans le caniveau !
- Alexandre, viens m’aider, c’est trop lourd !
Vraiment, quel pot de colle cet Oscar ! Pourquoi n’existe-t-il pas des vacances d’Oscar. Alexandre ne demande pas l’impossible : une journée seulement, sans les jérémiades de ce petit frère envahissant. Il imagine que Maman entre dans leur chambre et annonce :
- Aujourd’hui, Oscar est parti chez Mamie, nous serons bien tranquilles tous les trois.
Ou bien, c’est Papa qui claironne :
- Aujourd’hui, Alexandre, on va faire une grande balade, rien que tous les deux, entre hommes !
Oui, mais il ne faut pas rêver, ça ne se présentera jamais, car Oscar ne veut aller nulle part et ne supporte même pas l’idée d’être séparé de son frère, rien qu’un instant. Et les parents font toujours tout pour éviter de le contrarier, ce qui déclencherait inévitablement des pleurs incessants.
Aujourd’hui, Oscar sera content puisque Papa les emmène tous les deux faire une balade à vélo, sur un bout du chemin de Grande Randonnée qu’ils apprécient tout particulièrement. Il est bordé d’une rivière qui coule nonchalamment en chantant. Parfois, son rythme sautillant encourage les garçons quand la fatigue se fait sentir. Elle offre aussi toutes sortes de jeux après l’effort. Mais ce que préfère Alexandre, ce sont les pique-niques qu’ils font en famille l’été quand il est permis de se baigner dans ses eaux transparentes.
Les saules qui bourgeonnent, les primevères et les boutons d’or qui illuminent les bords de l’eau, tout cela promet à Alexandre une bonne journée et un bel été. Il traîne un peu pour admirer le reflet des branches dans le miroir de la rivière, il écoute le bruissement de l’eau sur les cailloux qui joue avec le vent d’avril dans les jeunes feuilles.
Mais le fond sonore est vite gâché par le bavardage permanent de Papa qui n’arrête pas de donner des conseils à Oscar. Alexandre n’entend pas ce qu’il dit mais plus le ton est encourageant, plus le garçon traîne. Et personne ne s’en inquiète, comme d’habitude. « Alexandre est grand maintenant. Il est autonome. On peut lui faire confiance ». Voici les paroles qu’il entend tout le temps à son propos.
Et c’est au moment précis où il entend son père crier,d’une voix légèrement irritée :
- Allez Alexandre ! qu’il a brusquement envie de faire mentir cette vieille rengaine.
Il descend de son vélo, le laisse en plein milieu du chemin et file se cacher derrière un arbuste qui a déployé toutes ses fleurs nouvelles pour mieux dissimuler l’enfant.
Et il attend. Il attend un bon moment avant de percevoir à nouveau la voix de Papa :
- Alexandre, dépêche-toi !
Mais c’est le silence qui répond à l’injonction du père. Alors celui-ci lance :
- Alexandre, qu’est-ce que tu fais ?
Puis la voix devient moins sûre d’elle :
- Alexandre, où es-tu ?
Elle se rapproche de seconde en seconde, de plus en plus inquiète et accompagnée d’une autre voix beaucoup plus fluette :
- Alexandre ! … Alexandre !
Les deux voix forment un bel écho mais elles ne l’auront pas ! Alexandre se recroqueville sans faire de bruit. Les voix sont là maintenant, tout près. Il se laisse doucement bercer par le parfum suave et délicat de l’aubépine en fleurs et rêve d’un monde dans lequel il serait aussi bien dorloté.
Pendant ce temps, les voix sont devenues des prières si plaintives qu’elles en perdent presque leur sonorité ; ce ne sont plus que des filets de voix. Elles courent partout, dans tous les sens. Elles font pitié maintenant mais Alexandre résiste et se blottit plus encore dans le bouquet d’aubépines.
Tout à coup, tout près de lui, il distingue un visage d’enfant qu’il ne reconnaît pas. C’est un visage meurtri pas le chagrin. Les grosses larmes qui l’inondent doivent brouiller la vue de l’enfant. Et lorsqu’un sanglot douloureux sort de la petite bouche, Alexandre se relève pour aller consoler ce petit garçon si malheureux. Au même moment, son père le saisit et le protège dans ses bras vigoureux en murmurant :
- Oh, mon petit Alexandre, tu es là !
Sans rien dire, ils repartent tous les trois. Alexandre, bien entouré cette fois-ci de son frère et de son père, se demande à quel moment les réprimandes vont arriver. Le chemin semble long jusqu’à la voiture.
Puis, dès qu’ils se retrouvent à l’intérieur, Papa se tourne vers Alexandre et lui dit :
- Si tu veux, nous ferons une plus grande balade tous les deux demain. A condition qu’il fasse beau, bien sûr. Sinon, on remettra ça plus tard. Tu es d’accord ?
Alexandre se contente d’acquiescer d’un mouvement de tête, et c’est Oscar qui conclut :
- Oui, moi je resterai avec Maman, on vous fera un bon gâteau pour le goûter.