dimanche 6 juin 2010

Demoiselle Coccinelle

Tranche d’âge : 5-8 ans
Durée : 5mn 30

Le jour où Demoiselle Coccinelle est née, on a senti un grand émoi chez les coccinelles. Jamais on n’avait vu plus belle coccinelle. Ses formes étaient parfaites et ses points… Ah ! Ses points ! Ses jolis petits point noirs ! Si ronds, si bien dessinés, si bien répartis sur les ailes ! La perfection même ! Sa mère était tellement contente d’avoir donné naissance à une telle beauté que ses joues devinrent aussi rouges que les ailes de son enfant. Et que dire alors de la grand-mère ? Des larmes de bonheur, rondes comme les points noirs de la coccinelle, jaillirent de ses yeux. Elle aurait tant voulu être aussi belle, que les larmes se transformèrent vite en larmes de chagrin et de regret. D’un regard, les deux femmes se promirent de donner à l’enfant magnifique une vie hors du commun.
Les premières années de la vie de Demoiselle Coccinelle furent assez paisibles. Elle était dorlotée par sa famille et elle aimait beaucoup cela. Mais elle n’appréciait pas toujours qu’on la remarque dans la rue et que sa mère s’extasie avec ses voisines sur sa beauté.
Lorsqu’elle rentra à l’école maternelle, c’est avec un grand bonheur qu’elle découvrit des camarades de son âge qui ne lui disaient jamais qu’elle était plus belle que les autres. Quel soulagement d’être enfin comme les autres ! Elle adorait jouer avec ses petits amis et elle aimait particulièrement s’occuper d’eux, les écouter et les rassurer lorsqu’ils avaient mal.
Sa vie bascula lorsque son anniversaire arriva. Elle avait quatre ans. Un soir, sa mère vint la chercher à l’école avec un sourire particulièrement radieux et au moment de souffler les bougies, elle lui tendit un gros paquet rose avec mille et un rubans de toutes les couleurs, en lui disant :
- Comme tu seras belle dans cette robe de dentelles !
Demoiselle Coccinelle aurait préféré un jouet mais la robe faisait tant plaisir à sa maman qu’elle fut contente d’avoir une robe de princesse.
- C’est pour ton premier casting ! ajouta la grand-mère d’un air complice.
La petite coccinelle sourit devant l’air enjoué des deux femmes mais une question lui brûlait les lèvres :
- C’est quoi un castête ?
- Mais non, ma chérie ! répondit la grand-mère dans un éclat de rire. Ce n’est pas un castête, c’est un casting ! Tu verras, tu vas « adorer » ! Tous les petits apprentis acteurs viennent se montrer pour être choisis par la production pour faire du cinéma.
Et la mère renchérit :
- Ne crains rien, c’est toi qu’ils choisiront ! Ta grand-mère et moi, nous ferons tout pour que ça marche. Nous te préparerons comme une championne. D’ailleurs, dès demain, tu commences la danse.
- Oui, continua la grand-mère toute excitée, il y aura aussi des cours de maintien, des cours de chant, et même des cours de diététique, pour apprendre comment rester mince. Mon Dieu, qu’est-ce qu’on va s’amuser ! ajouta-t-elle en se frottant les mains.
Et c’est ainsi que la vie de Demoiselle Coccinelle changea du tout au tout. Tout le monde était si gentil, si prévenant avec elle, qu’elle finit par aimer sa nouvelle vie. Elle ne pouvait rien reprocher à ses parents parce qu’ils avaient vendu leur maison pour payer les cours, les tenues extravagantes et les voitures luxueuses qui l’emmenaient très souvent aux castings.
Au bout de deux ans, elle décrocha quelques rôles : les premiers dans une publicité de saucisson et de shampoing, et le troisième dans une série télé. Elle devait y représenter une petite coccinelle méchante et très gâtée, détestée par tous ses frères et sœurs. Lorsque le tournage de la scène fut terminé, la grand-mère s’exclama :
- C’était très bien, ma chérie. Tu es vraiment la plus vilaine et la plus méchante coccinelle que j’aie jamais vue !
Drôle de compliment tout de même ! Mais Demoiselle Coccinelle pensa à autre chose et continua sa « brillante » carrière.
Mais un jour, elle tomba malade. Une sorte de bronchite qui s’éternisait et qui lui donnait une mine catastrophique. Elle était en train de rêvasser dans son lit quand sa mère entra en trombe dans sa chambre.
- Ma chérie, tu n’as pas oublié le « super casting de rêve » où tu dois te présenter aujourd’hui ? Il faut te lever maintenant et te dépêcher.
- Mais, maman, je suis malade !
- Ne t’inquiète pas ma chérie, on a suffisamment de maquillage pour te donner une mine superbe.
Et la mère de la petite coccinelle sortit de la chambre avant d’avoir la réponse de son enfant.
Deux heures plus tard, elles arrivèrent sur le lieu du casting et découvrirent une queue immense ; il y avait des centaines, peut-être même un millier d’enfants qui attendaient là pour seulement deux petits rôles dans un film de guerre. Demoiselle Coccinelle se tourna vers sa mère avec un regard désespéré mais la mère ne vit rien et lança d’un ton enjoué :
- Allons-y mon enfant ! Oh, regarde comme c’est excitant ! Tous tes concurrents les plus sérieux sont là : le criquet, la sauterelle, le hanneton, le scarabée, le grillon et même la libellule. Il faudra que tu t’en méfies de celle-là, elle fera encore un super numéro de charme devant le jury.
- Elle est vraiment très belle, se contenta de dire la petite coccinelle.
Au bout de deux heures de queue, elles aperçurent enfin la porte qui devait mener au fameux casting, mais il fallut encore une heure avant que Demoiselle Coccinelle se retrouve sur la scène face au président du jury qui lui demanda :
- Alors, jolie demoiselle, tu veux bien nous dire ton texte ?
Mais au moment de parler, elle fut prise d’une terrible quinte de toux et lorsqu’elle eut enfin repris sa respiration, elle déclara :
- Je n’ai pas appris de texte, je ne veux pas être admirée de tous, je ne veux pas être riche et célèbre, je veux juste retourner à l’école avec mes amis et plus tard, je veux être infirmière.
Elle ne savait pas comment ces mots étaient sortis de sa bouche mais lorsqu’elle rejoignit sa mère, elle savait que cette vie infernale était terminée.