dimanche 28 novembre 2010

Où sont-ils passés ?

Tranche d’âge : à partir de 5 ans
Durée : 5mn 30

Mariette se promène souvent à la Colline aux oiseaux. C’est un parc magnifique où l’on peut s’amuser, se détendre ou admirer les diverses plantations que les jardiniers de la ville entretiennent avec amour. Il est composé de plusieurs jardins où chacun peut trouver son bonheur. Mariette ne s’y rend jamais sans une attention particulière pour le jardin des vivaces, très différent d’une saison à l’autre mais qu’il ne faut surtout pas manquer au printemps quand de petites fleurs tendres et délicates sortent de la terre encore toute fraîche. Puis la promeneuse surplombe le labyrinthe. Elle regarde les enfants qui cherchent leur chemin en riant et elle ferme les yeux. Elle revoit la tête blonde des siens courir entre les haies de buis, en riant aussi, exactement comme ceux d’aujourd’hui. C’était il y a longtemps déjà mais ce moment précieux de joie toute simple est resté gravé dans sa mémoire.
S’il l’on est au mois de juin, elle se laisse ensuite envelopper du parfum, doux et subtil, des roses qui s’offrent par milliers dans la superbe roseraie. Il faut du temps pour la parcourir et admirer chaque rosier. Parfois Mariette y passe un après-midi entier. Mais d’autres fois, elle continue sa promenade et, en traversant les jardins du monde, elle fait un grand voyage.
Puis en sortant de sa rêverie, elle commence à se réjouir. Bientôt elle arrivera à l’étang et elle verra ses canards. Quoi de plus élégant qu’un canard ? Il glisse si légèrement sur l’eau qu’on dirait qu’il est en apesanteur. Il plonge si rapidement sa tête dans l’eau qu’on n’a pas le temps de distinguer le mouvement, on voit juste les gouttes perler sur son beau plumage. Là, le mâle est tout à son avantage. Toutes les nuances de gris-brun de son corps mettent en valeur le vert brillant de sa tête, son bec jaune et son collier blanc. Quelle allure ! Et quand il s’envole pour faire un petit tour au-dessus de l’étang, on admire sa grâce. Mais on admire plus encore l’atterrissage du gros oiseau qui se pose délicatement sur l’eau comme une pétale de fleur se poserait sur l’herbe douce.
Aujourd’hui, Mariette est surprise. En arrivant près de l’étang, elle n’entend pas les « coin-coin » habituels qui lui indiquent la présence des canards. Que font-ils donc ? Où sont-ils passés ? Elle aperçoit tout de suite les oies avec leur démarche un peu pataude, leur corps lourd et dodu, leur bec toujours prêt à attraper le mollet d’un passant. Elle entend les mouettes qui crient, elle remarque au passage leur bec noir et crochu. Mais pas de traces de canards. Seraient-ils partis ? Définitivement partis pour des contrées lointaines ? Après tout, ce sont des canards sauvages, personne ne les nourrit ici, ils peuvent bien s’en aller où le vent les mène. Mariette ne veut pas y croire. Elle s’approche du bord de l’étang ; l’odeur fade de la vase lui donne légèrement mal au cœur. Ah ! Tout serait différent si les canards étaient là !
Elle se souvient de la joie qu’elle avait eue au printemps dernier, le jour où elle avait vu la cane et ses petits apparaître de la berge de l’étang. Comme c’était charmant de regarder cette cohorte de petites boules de duvet jaune animées par des yeux vifs et brillants ! Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze. Elle en avait d’abord compté douze. Puis un treizième. Alors elle avait recompté. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize. C’était bien cela. Treize ! Treize à la douzaine ! Comment la maman cane pouvait-elle bien s’occuper de tout ce petit monde ? C’était le moindre de leurs soucis, à eux. Ils voguaient tranquillement, tous à la queue leu leu, bien contents d’être là. Mariette avait compris pourquoi la cane arborait sa belle robe d’un brun mouchetée de jaune ; c’était le même jaune que celui de ses petits. Oui, le spectacle était vraiment réussi !
Mais aujourd’hui, plus de canetons, plus de maman cane, plus rien ! Mariette se sent seule tout à coup. Elle ferme les yeux un instant en espérant que les canards seront là quand elle les ouvrira à nouveau. Mais en vain, les canards sont toujours les grands absents de l’étang.
Alors, elle s’assoit sur un banc pour réfléchir un petit moment. Elle fait un vœu : si les canards réapparaissent, alors elle ne mangera plus jamais d’aiguillettes de canards avec des abricots, des pruneaux ou des petits pois.
Elle attend dix minutes, puis vingt, puis trente. Enfin, le cœur en peine, elle décide de s’en aller. Mais au moment précis où elle quitte son banc, une, puis deux, puis trois têtes vertes apparaissent comme par enchantement de la berge de l’étang. Les mâles sont suivis de quatre canes au plumage moucheté de jaune. Ils ont toujours fière allure, les canards, et ils sont bien loin de se douter du souci que Mariette s’était fait pour eux. Ils s’abritaient sans doute dans le bouquet d’herbes touffues qui bordent l’étang. Et si c’étaient les petits canetons du printemps ?
Mariette reste là un moment à les admirer. Puis, en espérant les revoir bientôt, elle s’en va.
Sur le chemin du retour, elle se dit que, décidément, rien n’est plus gracieux qu’un canard sur l’eau. Elle se dit aussi que rien n’est meilleur qu’un canard aux petits légumes. Quel dilemme !
- Mais ce ne sont pas ceux-là que l’on mange, s’exclame-t-elle tout à coup, contente d’avoir trouvé la parade. Ce sont des canards domestiques, élevés dans des fermes. Alors, ça change tout !
Et elle rentre l’esprit tranquille, en inventant une nouvelle recette qui s’appellerait : Canard farci aux amandes grillées. Miam, miam !