dimanche 29 août 2010

L'Argent ne fait pas le bonheur

Tranche d’âge : à partir de 6 ans
Durée : 6mn

Monsieur Bernard est un homme d’affaires très riche. Plus exactement, c’était un homme d’affaires très riche. Depuis ce matin, il n’a plus rien. Rassurez-vous, il n’a été ni volé, ni cambriolé. Voilà comment c’est arrivé.
Il avait coutume de dire que sa fortune était tombée du ciel. Il n’avait pas tout à fait tort car, en effet, l’idée d’ouvrir une petite fabrique de parapluies lui était venue un jour où il était parti se promener sans parapluie. Brusquement, la pluie s’était mise à tomber et, en moins de deux, il avait été trempé jusqu’aux os. Comme à cette époque-là, il n’existait que des grands parapluies très encombrants, on les prenait seulement quand il pleuvait ou qu’on était sûr qu’il allait pleuvoir. Mais que faire pour éviter une ondée inattendue ? Monsieur Bernard pensa alors qu’il serait très utile d’inventer un parapluie plus petit et plus pratique. Et c’est ce qu’il fit. Il réfléchit longtemps et, après des milliers de dessins, des centaines d’essais et des dizaines de nuits sans dormir, il ouvrit sa fabrique de minis parapluies.
Il en vendit d’abord aux magasins de sa ville mais très vite, tout le monde en réclama. L’engouement pour ses parapluies fut tel qu’il devait agrandir sa petite entreprise chaque année. C’est comme ça qu’il devint riche, sans l’avoir vraiment cherché.
Un jour, son ami Raoul, qui était conseiller financier, l’avertit qu’il devait s’occuper de sa fortune, gérer son patrimoine et faire fructifier son argent. Comme Monsieur Bernard ne comprenait rien à ce langage, il demanda un peu désemparé :
- Mais, qu’est-ce que je dois faire alors ?
- Tu dois d’abord faire coter ton entreprise en bourse, répondit son ami, puis acheter ici, vendre là, et t’occuper sans arrêt de ton argent. Si tu ne t’en occupes pas, ce sont les autres qui s’en chargeront. Tu comprends ? Tu dois aussi nommer un gérant pour ton entreprise parce qu’avec tout cela, tu ne pourras plus la diriger toi-même.
Ce n’était pas si simple d’être riche !
Pendant de nombreuses années, Monsieur Bernard ne fit plus que cela : gérer sa fortune. Il se levait très tôt pour ne pas manquer les premières cotations de la bourse, se couchait très tard parce que les chiffres n’attendent pas, parcourait le monde entier à toute vitesse pour rencontrer des hommes d’affaires comme lui, pas rigolos pour deux sous, mais très puissants, et à qui il fallait faire des sourires et des cadeaux.
Comme il était loin de sa petite fabrique « Plic-Ploc » ! Il se souvenait avec nostalgie des amis avec lesquels il plaisantait tout en travaillant. Il aimait beaucoup inventer de jolis parapluies qui plairaient aux gens. Mais maintenant il ne s’occupait plus que d’argent, d’investissements, de réinvestissements et tout cela était bien embêtant.
Comme tous les riches, il avait bien sûr un avion privé, une maison magnifique et plusieurs voitures. Un matin, en allant chercher sa nouvelle quatre-quatre noire sur-équipée qu’il n’aurait probablement pas le temps d’utiliser, il se demanda s’il en avait vraiment besoin.
Il osa ce jour-là poursuivre son interrogation un peu plus loin et formula ainsi la question qui allait le perturber toute la journée :
- Mais au fond, est-ce que tout cet argent me rend heureux ?
En rentrant avec sa nouvelle voiture qui ne lui apportait pas le plaisir attendu, il se souvint du premier petit canif qu’il avait eu pour un anniversaire. Aussitôt il était parti dans les bois et avait construit sa première cabane. C’est ce mot « cabane » qui réveilla en lui une envie extraordinaire de vivre et d’être heureux. Brusquement, il arrêta le moteur, descendit de sa voiture et se mit à crier de toutes ses forces, en regardant vers la montagne :
- Une cabane là-haut dans la montagne !
Enfin il avait trouvé la clé de son bonheur. Vivre dans une cabane en bois, tout simplement, avec quelques chèvres, un âne, un chien et deux ou trois chats, c’est tout ce qu’il voulait ! Il passa le reste de sa journée, assis sur la terrasse de sa maison aussi richement décorée qu’un palais, à rêvasser à sa nouvelle vie. Quel bonheur de se réveiller chaque matin avec les clochettes des troupeaux, les bêlements de ses chèvres puis de prendre le temps de regarder la nature, de vivre à son rythme et d’oublier toutes les sonneries du monde !
Il commença par laisser celle du téléphone carillonner toute la journée et le soir, il se contenta d’envoyer un courriel à tous ses contacts. Voici ce qu’il disait :
- Chers amis, chers collègues : j’ai décidé de changer de vie. Mise à part une petite rente que je recevrai chaque mois, je me débarrasse dès demain matin de toute ma fortune. Je prendrai les décisions qui s’imposent pour que tous ceux qui travaillent à Pli-Ploc ne soient pas lésés et gardent leur travail. Mais c’est le hasard qui distribuera les biens que je possède puisque je vais organiser une tombola qui sera ouverte à tous. Ainsi chacun peut espérer d’obtenir la maison, l’avion, les voitures, les motos, les tableaux ou le bateau. En ce qui concerne ma fortune, je la destine aux habitants des pays les plus pauvres qui ont un besoin vital d’obtenir un peu d’argent pour développer une idée et faire vivre leur famille. Notez bien que je suis en bonne santé aussi bien physique que morale et que je prends cette décision en toutes connaissances de causes. Bien à vous.

Il écrivit un autre courriel à ses amis les plus proches dans lequel il expliqua un peu plus longuement sa démarche et à qui il promit de rendre visite quelquefois, lorsqu’il descendrait dans la vallée.
Monsieur Bernard a fait tout ce qu’il avait annoncé et un jour, il est parti en direction de la montagne. Pour savoir s’il est heureux, il vous faudra gravir le flanc de cette montagne par le même chemin, mais je vous préviens, il grimpe fort et longtemps.
Tout ce que je peux vous dire, c’est que son troupeau de chèvres s’est un peu agrandi, que l’ânesse a donné naissance à un petit ânon très mignon et que les deux chats n’ont jamais été aussi heureux car ils sont bien nourris, dorment chaque nuit sur un bon lit bien douillet et ils n’ont plus peur de se faire écraser.