dimanche 3 janvier 2010

Qu’est-il donc devenu, le loup qui a mangé la chèvre de M. Séguin ?

Tranche d’âge : 5-8 ans
Durée : 5 mn 30

Mes chers amis, savez-vous ce qu’est devenu le loup qui a mangé la chèvre de M. Séguin ?
C’est vrai, on ne parle jamais du loup. On raconte toujours l’histoire de la chèvre mais le loup, qu’est-il est devenu ? Personne ne le sait. Sauf moi ! Je la connais son histoire. Mais avant de vous la raconter, je vous rappelle celle de la petite chèvre de M. Séguin.
L’histoire commence ainsi : « M. Séguin n’avait jamais eu de chance avec ses chèvres. Il les perdait toutes de la même façon ; un beau matin, elles cassaient leur corde, s’en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C’étaient des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté. »
M. Séguin était découragé mais un jour, il décida d’en prendre une dernière en ayant soin de la choisir toute jeune pour qu’elle s’habitue à rester chez lui.
Qu’elle était jolie, la petite chèvre de M. Séguin, avec ses yeux doux, sa barbiche toute blanche et ses sabots noirs et luisants ! Et si gentille ! Jamais elle ne se plaignait de la corde attachée à son cou ni de l’enclos entouré d’aubépines. Elle broutait l’herbe avec plaisir. M. Séguin était heureux.
Mais très vite, comme les autres, elle s’ennuya. Elle regardait la montagne et se disait :
« Comme on doit être bien là-haut ! Quel bonheur de gambader dans la bruyère, de goûter aux fleurs sauvages, sans cette maudite corde qui vous écorche le cou ! »
Elle savait pourtant que dans la montagne, il y avait aussi le loup. Elle savait bien qu’il avait mangé les autres chèvres de M. Séguin mais elle ne résistait pas à l’envie d’y aller à son tour. Elle était courageuse, elle se défendrait avec ses cornes et vengerait toutes les autres.
Aussi un beau matin, elle tira si fort sur sa corde qu’elle réussit à la rompre. Alors, cornes en avant et barbiche au vent, elle partit.
« Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n’avaient rien vu d’aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu’à terre pour la caresser du bout des branches. Les genêts s’ouvraient sur son passage et sentaient bon tant qu’ils pouvaient. Toute la montagne lui fit fête. »
Comme la petite chèvre était heureuse de gambader librement dans les hautes herbes sauvages ! Elle se délectait de leur goût surprenant et si savoureux. Et elle s’amusait comme une folle à dévaler les pentes des talus, se roulait dans les feuilles et les châtaignes, franchissait les torrents qui l’éclaboussaient. Quelle vie ! Elle se croyait au paradis.
Mais tout à coup, le vent fraîchit, la montagne s’assombrit. C’était le soir.
Elle entendit un hurlement au loin :
Hou ! Hou !
Elle tressaillit. Elle pensa aux autres chèvres de M. Séguin, mais c’était trop tard. Elle entendit à nouveau :
Hou ! Hou !
C’était le loup. Il s’était rapproché et bientôt, elle distingua deux billes luisantes dans les buissons. Elle prit alors position, tête basse, cornes en avant, pour attaquer le monstre.
La pauvre petite chèvre se battit toute la nuit mais au petit matin, le loup la mangea.

Cette histoire est racontée aux enfants comme vous depuis plus de cent ans. Et elle a tout de suite rencontré un grand succès. Alors vous pensez bien que le loup n’est pas très fier d’avoir mangé la petite chèvre la plus célèbre du monde. Calculez un peu combien de fois il a été détesté ! Oui, des milliers de fois. C’est dur à supporter. Quand les gens vont se promener dans la montagne, il y en a toujours pour dire sur son passage :
« Mais si, tu sais bien, c’est le loup qui a mangé la petite chèvre de M. Séguin ! »
A force d’entendre ce genre de réflexions, il est tombé malade. Il ne pouvait plus rien avaler, surtout pas des chèvres !
Alors très vite, toute la vie de la montagne a changé. La mère des marcassins interdisait à ses petits de faire le moindre bruit, de peur de déranger le loup ; le renard n’osait pas s’amuser, de peur de le mettre en colère et les chamois ne batifolaient plus dans les vignes sauvages tant la tristesse du loup les gagnait. La vie tournait au ralenti dans la montagne et cela faisait peine à voir. Même la nature dépérissait ; les sapins perdaient leurs aiguilles, les châtaigniers ne faisaient plus de châtaignes, et les genêts renonçaient à leurs belles couleurs d’or.
Un jour, un lapin téméraire approche le loup et lui conseille d’aller consulter le psychologue de loup. Le loup se dit :
« Ce lapin est complètement fou, je vais le manger ! »
Mais, comme il ne bouge pas, il comprend alors qu’il a bien besoin de voir ce psychologue de loup.
Le jour où le loup se rend chez le psychologue, tous les animaux le suivent et viennent coller leurs oreilles contre les parois de la maison pour entendre ce qui se dit. Oh les curieux ! Mais les murs sont épais, ils ne laissent rien passer.
Une heure plus tard, la porte s’ouvre enfin et le loup apparaît.
Le psychologue lui a bien expliqué que chacun a sa place dans la montagne et qu'il ne doit pas s'en faire d'avoir seulement joué son rôle de prédateur. Alors le loup regarde fièrement autour de lui et clame bien fort :
« Mes amis, bonne nouvelle, je suis guéri ! »
Dès qu’ils entendent cette parole, les animaux s’éclipsent le plus vite possible. Mais hélas, le lapin qui a si bien conseillé le loup n’est pas assez rapide et c’est lui qui fait les frais de la guérison miraculeuse du loup. Après avoir croqué le pauvre animal, notre carnivore a encore le culot de dire :
« Décidément, ça ne vaut pas la petite chèvre de M. Séguin ! Où pourrais-je en trouver d’autres ? Jamais je n’ai dégusté une chair aussi succulente. »


Prévenez-le, mes amis, qu’il aura bien du mal à trouver une autre petite chèvre.
M. Séguin est mort depuis longtemps, alors que le loup court toujours.
Comme la petite chèvre de M. Séguin d’ailleurs, qui n’en finit pas de courir dans la tête des petits enfants depuis plus d’un siècle.